Évelyne Martini publie chez Bayard en 2011 un essai intitulé « Notre école a-t-elle un cœur ? ».8/5/2012
J'ai lu cet essai à de nombreuses reprises durant cette année scolaire pour prendre du recul sur mon métier de professeur: après 12 années d'enseignement, j'ai trouvé des encouragements et des remises en question au fil des pages. Je vous livre ma lecture personnelle et subjective de ce livre... Dès les premiers mots, Evelyne Martini dévoile sa sensibilité en évoquant sa grand-mère corse et la tradition des poètes nomades passeurs de « l’entre deux langues ». Cette appartenance géographique à une île la rend sensible aux enfants de la ruralité tout comme aux « nouveaux arrivants » : elle commence par s’intéresser aux élèves puisque l’Inspectrice fut professeure. Mais elle définit aussitôt la fonction du professeur qu’elle observe et évalue : « soldats du front » exposés aux regards de tous, tous les jours. Elle n’élude pas : le professeur doit inspirer le bonheur de vivre et cette posture doit faire taire la douleur intérieure lancinante qui accompagne les affres de ce métier où l’on a à charge de transmettre ce qu’on a de plus intime –les bases de son savoir- à des êtres dont l’altérité s’impose parfois radicalement opposée. Toutefois, les « chers élèves » sont aussi la surprise de l’émerveillement et de l’enthousiasme de la jeunesse. Dans l’ Education Nationale, on souffre aussi « des adultes » car il est de mauvais ton de s’interroger, de douter ou d’avoir des émotions. Néanmoins, n’est-ce pas ce qui doit advenir dans la classe pour que les élèves s’éveillent à l’esprit et à un raisonnement personnel ? L’école enseigne des savoirs mais qui sont inopérants s’ils ne développent pas l’intériorité de ceux à qui ils sont confiés pour les faire fructifier. La société de l’image télévisuelle permanente et violente agite les angoisses et exacerbe la pulsion de mort en dépossédant l’adolescent de lui-même. Comment le ramener à soi ? Surtout dans un univers où règnent la chamaillerie, les notes, les gamineries entre élèves et… entre les professeurs qui s’observent, s’évaluent de peur d’être le mal-aimé : comme leurs élèves, ils peuvent s’embrigader dans la compétition du plus populaire et, ce faisant, ils abandonnent la parole libérée du savant pour tenir le discours vide du séducteur. Apprendre à l’élève à se défendre dans le marché de demain n’est pas lui fournir de visu l’exemple d’un enseignant prêt à tout pour survivre. Comment garder ses capacités à juger, à penser au sein d’une organisation humaine peu humaine où chaque professeur est seul face à des élèves qui vont et viennent d’un professeur à un autre ? Mieux lire, mieux compter, certes mais pour mieux vivre, pas survivre. Quelle est la vision de l’Homme portée par l’école ? De même qu’on oppose passion et raison, faut-il opposer croyance et vérité pour condamner et nier l’existence de l’un au profit de l’autre. Demander à un élève d’être raisonnable suffit-il à la maîtrise de ses passions ? La définition de la laïcité est à ancrer dans une tradition qui n’expulse pas arbitrairement toute une partie de l’héritage de notre pensée, notamment les sujets polémiques comme le rôle de la spiritualité ou l’histoire des religions. La culture est-ce prétendre tout comprendre, tout savoir, tout maîtriser ? Qu’en est-il alors du doute, des croyances, de l’esprit critique, du mystère ? Si certains sujets restent tabous, alors le professeur feint de tout savoir, de tout contrôler et tend un voile doré sur la béance du reste : technicisme littéraire, inflation informatique,… Mais les questions sont autres : comment vivre sans amour ? Comment maîtriser ses passions ? Que croire ? Ces questions nécessitent qu’on renonce à l’éparpillement pour oser s’investir dans son enseignement en tant que personne-professeur qui sait respecter en l’autre, la personne de l’élève, son propre mystère. Evelyne Martini livre ensuite des pistes pour y parvenir en s’appuyant sur des sources littéraires. C A Valette |
AuteurChristelle Abraham Valette Catégories
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January 2015
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